Récit de la Légende Dorée

photo by dimitrisvetsikas1969

Georges Ă©tait tribun originaire de Cappadoce ; il arriva un jour dans la citĂ© qu’on appelle SilĂšne, dans la province de Lybie. PrĂšs de cette citĂ© se trouvait un marais aussi vaste qu’une mer, oĂč se cachait un dragon pestifĂšre qui, plus d’une fois, avait contraint Ă  la fuite le peuple armĂ© contre lui ; et, parvenu aux murs de la citĂ©, il rĂ©pandait partout son souffle mortel. Les habitants furent donc forcĂ©s de lui donner chaque jour deux brebis afin d’apaiser sa fureur, sans ce tribut, le dragon attaquait les murs de la ville et, en infectant l’air, provoquait de nombreuses morts.

Mais comme il ne leur restait presque plus de brebis, et qu’ils ne pouvaient s’en procurer un nombre suffisant, ils dĂ©cidĂšrent, aprĂšs en avoir dĂ©libĂ©rĂ©, de livrer en tribut une seule brebis et d’y adjoindre un ĂȘtre humain. Et donc, les fils et les filles de toute la citĂ© subissaient le tirage au sort sans que le hasard Ă©pargne quiconque et, alors qu’on avait dĂ©jĂ  donnĂ© en pĂąture presque tous les fils et les filles du peuple, il arriva un jour que la fille unique du roi fut dĂ©signĂ©e et destinĂ©e au dragon.

Le roi, rempli d’affliction, dit alors : “Prenez mon or, mon argent et la moitiĂ© de mon royaume, mais laissez moi ma fille, qu’elle ne meure pas de cette façon !” Mais le peuple, furieux, lui rĂ©pondit : “C’est toi, ĂŽ roi, qui a promulguĂ© cet Ă©dit, et maintenant que tous nos enfants sont morts, tu veux sauver ta fille ? Si tu n’exĂ©cutes pas pour ta fille ce que tu as ordonnĂ© pour les autres enfants de la citĂ©, nous te brĂ»lerons, toi et ton palais.” A ces mots, le roi commença Ă  pleurer sa fille en disant : “Que je suis malheureux, ĂŽ ma fille trĂšs douce ! Que ferais-je pour toi ? Que dire, puisque je ne verrai pas tes noces ?” Et se tournant vers le peuple, il ajouta : ”Je vous en conjure, accordez moi un dĂ©lai de huit jours pour pleurer ma fille.” Le peuple cĂ©da Ă  sa priĂšre, mais revint au bout de huit jours en faisant Ă©clater sa fureur : “Pourquoi perds-tu ton peuple en faveur de ta fille ? VoilĂ  que nous allons tous mourir sous l’haleine du dragon.”

Alors le roi, voyant qu’il ne pouvait libĂ©rer sa fille, la revĂȘtit d’habits royaux, l’embrassa et lui dit en larmes : “Que je suis malheureux, ma trĂšs douce fille ! Je pensais Ă©lever dans l’enceinte royale les fils qui te seraient nĂ©s, et tu vas maintenant te faire dĂ©vorer par la dragon. Ah ! que je suis malheureux, ma trĂšs douce fille ; j’espĂ©rais inviter les princes Ă  tes noces, orner le palais de perles et entendre les orgues et les tambourins, et tu vas maintenant te faire dĂ©vorer par le dragon.” Et il l’embrassa, puis la laissa partir en disant : “Ah ! ma fille, si j’avais pu mourir avant de te perdre ainsi !” Sa fille se jeta alors aux pieds de son pĂšre en lui demandant sa bĂ©nĂ©diction.

Quand son pĂšre, en sanglots l’eut bĂ©nie, elle s’avança vers le lac. Saint Georges passait par lĂ  et quand il la vit en larmes, il lui demande ce qu’elle avait. Elle rĂ©pondit : “Bon jeune homme, hĂąte toi de monter sur ton cheval et de fuir, de peur de pĂ©rir avec moi.” Alors Georges rĂ©pliqua : “N’aie pas peur, ma fille, et dis moi : qu’attends ici, sous le regard de ce peuple assemblĂ© ? — Je le vois, bon jeune homme, tu as un grand coeur, mais pourquoi dĂ©sires tu mourir avec moi ? HĂąte toi de fuir ! — Je ne partirai pas d’ici, dit Georges, tant que tu ne m’auras pas confiĂ© ton tourment.” Et quant elle eut tout exposĂ©, Georges lui dit : “Ma fille, n’aie pas peur, je vais t’aider au nom du Christ.” Elle rĂ©pondit : ”Tu es un soldat courageux, mais ne pĂ©ris pas avec moi. Il suffit bien je meure seule ; car tu ne pourrais me libĂ©rer et tu pĂ©rirais avec moi.” Pendant qu’ils Ă©changeaient ces paroles, voici que le dragon arrive et sort la tĂȘte du lac. Alors le jeune fille dit en tremblant : “Fuis, mon bon seigneur, hĂąte toi de fuir !” Georges monte alors sur son cheval, se protĂšge par le signe de croix et attaque avec audace le dragon qui se dirige vers lui ; il brandit avec vigueur sa lance et, se recommandant Ă  Dieu, blesse gravement le dragon et le fait choir Ă  terre. Il dit Ă  la jeune fille : “Lance ta ceinture autour de l’encolure du dragon sans hĂ©siter, ma fille !” Quand elle l’eut fait, le dragon se mit Ă  la suivre, comme le plus doux des chiens. Et comme ils le conduisait ainsi dans la citĂ©, le peuple de la ville Ă  cette vue se mit Ă  fuir dans les montagnes et les dĂ©serts en criant : ”Malheur Ă  nous, nous allons tous pĂ©rir !” Alors saint Georges leur fit signe et leur dit : “N’ayez pas peur, car le Seigneur m’a envoyĂ© Ă  vous prĂ©cisĂ©ment pour vous dĂ©livrer des exactions de ce dragon. Si seulement vous croyez dans le Christ, et si vous faites tous baptiser, eh bien, je tuerai ce dragon.” Alors le roi et tout le peuple reçurent le baptĂȘme ; saint Georges dĂ©gaina son Ă©pĂ©e, tua le dragon et le fit emporter de la ville. Quatre paires de boeufs le trainĂšrent de la citĂ© dans une grande plaine et, ce jour lĂ , vingt mille hommes, sans compter les enfants et les femmes, reçurent le baptĂȘme.

Le roi fit construire, en l’honneur de sainte Marie et de saint Georges, une Ă©glise aux dimensions extraordinaires; de son autel coule une source d’eau vive, qui guĂ©rit tous les malades qui boivent de son eau. Et le roi offrit Ă  saint Georges une Ă©norme somme d’argent, qu’il refusa et fit offrir aux pauvres. Alors Georges donna au roi quatre brĂšves instructions : Il devait prendre soin des Ă©glises de Dieu, honorer les prĂȘtres, Ă©couter avec zĂšle l’office divin et toujours penser aux pauvres. Puis, aprĂšs avoir embrassĂ© le roi, il partit.

***

Jacques de Voragine, archevĂȘque de GĂšnes et auteur de la LĂ©gende DorĂ©e en 1265, commence sa relation des diffĂ©rentes traditions sur saint Georges, dont celle de Saint Georges et le Dragon, avec les prĂ©cautions d’usage :

“Sa lĂ©gende est mise au nombre des Ă©crits apocryphes au concile de NicĂ©e, parce que son martyre n’a pas de compte rendu rendu bien Ă©tabli. En effet, dans le calendrier de BĂšde, il est dit qu’il a souffert en Perse, dans la citĂ© de Diospolis. Ailleurs, on lit qu’il repose dans la citĂ© de Diospolis, qui s’appelait autrefois Lidda (aujourd’hui Lod en IsraĂ«l) et qui est situĂ© prĂšs de Jaffa. Ailleurs, on lit qu’il a souffert sous les empereurs DioclĂ©tien et Maximin. Ailleurs encore, on lit que ce fut sous DioclĂ©tien, empereur des Perses, en la prĂ©sence de soixante-dix rois de son empire. Ici, on dit que ce fut quand Dacien dut gouverneur, sous les empereurs DioclĂ©tien et Maximin.“

***

LĂ©gende dorĂ©e : Ce titre provient d’une trĂšs mauvaise traduction Ă  la Renaissance du titre latin Ă©crit au XIIIe siĂšcle Legenda aurea sanctorum. La signification latine du titre est : Ce qui doit ĂȘtre lu des saint aurĂ©olĂ©s, en effet, Legenda est le gĂ©rondif du verbe lire. Cette traduction est une vĂ©ritable trahison ; lĂ©gende proposĂ© malignement Ă  la Renaissance ne s’écrit en latin que par fabula. On est en parfait contre sens du but de l’auteur qui ne parle que de vies de saints, vĂ©rifiĂ©es et que l’on doit connaitre, y compris par les rĂ©cits poĂ©tiques et fabuleux, dont la lĂ©gende de saint Georges, qui doivent ĂȘtre lus de maniĂšre symbolique.

Publié le 06 mars 2025

Récit de la Légende Dorée

Georges Ă©tait tribun originaire de Cappadoce ; il arriva un jour dans la citĂ© qu’on appelle SilĂšne, dans la province de Lybie. PrĂšs de cette citĂ© se trouvait un marais aussi vaste qu’une mer, oĂč se cachait un dragon pestifĂšre qui, plus d’une fois, avait contraint Ă  la fuite le peuple armĂ© contre lui ; et, parvenu aux murs de la citĂ©, il rĂ©pandait partout son souffle mortel. Les habitants furent donc forcĂ©s de lui donner chaque jour deux brebis afin d’apaiser sa fureur, sans ce tribut, le dragon attaquait les murs de la ville et, en infectant l’air, provoquait de nombreuses morts.

Mais comme il ne leur restait presque plus de brebis, et qu’ils ne pouvaient s’en procurer un nombre suffisant, ils dĂ©cidĂšrent, aprĂšs en avoir dĂ©libĂ©rĂ©, de livrer en tribut une seule brebis et d’y adjoindre un ĂȘtre humain. Et donc, les fils et les filles de toute la citĂ© subissaient le tirage au sort sans que le hasard Ă©pargne quiconque et, alors qu’on avait dĂ©jĂ  donnĂ© en pĂąture presque tous les fils et les filles du peuple, il arriva un jour que la fille unique du roi fut dĂ©signĂ©e et destinĂ©e au dragon.

Le roi, rempli d’affliction, dit alors : “Prenez mon or, mon argent et la moitiĂ© de mon royaume, mais laissez moi ma fille, qu’elle ne meure pas de cette façon !” Mais le peuple, furieux, lui rĂ©pondit : “C’est toi, ĂŽ roi, qui a promulguĂ© cet Ă©dit, et maintenant que tous nos enfants sont morts, tu veux sauver ta fille ? Si tu n’exĂ©cutes pas pour ta fille ce que tu as ordonnĂ© pour les autres enfants de la citĂ©, nous te brĂ»lerons, toi et ton palais.” A ces mots, le roi commença Ă  pleurer sa fille en disant : “Que je suis malheureux, ĂŽ ma fille trĂšs douce ! Que ferais-je pour toi ? Que dire, puisque je ne verrai pas tes noces ?” Et se tournant vers le peuple, il ajouta : ”Je vous en conjure, accordez moi un dĂ©lai de huit jours pour pleurer ma fille.” Le peuple cĂ©da Ă  sa priĂšre, mais revint au bout de huit jours en faisant Ă©clater sa fureur : “Pourquoi perds-tu ton peuple en faveur de ta fille ? VoilĂ  que nous allons tous mourir sous l’haleine du dragon.”

Alors le roi, voyant qu’il ne pouvait libĂ©rer sa fille, la revĂȘtit d’habits royaux, l’embrassa et lui dit en larmes : “Que je suis malheureux, ma trĂšs douce fille ! Je pensais Ă©lever dans l’enceinte royale les fils qui te seraient nĂ©s, et tu vas maintenant te faire dĂ©vorer par la dragon. Ah ! que je suis malheureux, ma trĂšs douce fille ; j’espĂ©rais inviter les princes Ă  tes noces, orner le palais de perles et entendre les orgues et les tambourins, et tu vas maintenant te faire dĂ©vorer par le dragon.” Et il l’embrassa, puis la laissa partir en disant : “Ah ! ma fille, si j’avais pu mourir avant de te perdre ainsi !” Sa fille se jeta alors aux pieds de son pĂšre en lui demandant sa bĂ©nĂ©diction.

Quand son pĂšre, en sanglots l’eut bĂ©nie, elle s’avança vers le lac. Saint Georges passait par lĂ  et quand il la vit en larmes, il lui demande ce qu’elle avait. Elle rĂ©pondit : “Bon jeune homme, hĂąte toi de monter sur ton cheval et de fuir, de peur de pĂ©rir avec moi.” Alors Georges rĂ©pliqua : “N’aie pas peur, ma fille, et dis moi : qu’attends ici, sous le regard de ce peuple assemblĂ© ? — Je le vois, bon jeune homme, tu as un grand coeur, mais pourquoi dĂ©sires tu mourir avec moi ? HĂąte toi de fuir ! — Je ne partirai pas d’ici, dit Georges, tant que tu ne m’auras pas confiĂ© ton tourment.” Et quant elle eut tout exposĂ©, Georges lui dit : “Ma fille, n’aie pas peur, je vais t’aider au nom du Christ.” Elle rĂ©pondit : ”Tu es un soldat courageux, mais ne pĂ©ris pas avec moi. Il suffit bien je meure seule ; car tu ne pourrais me libĂ©rer et tu pĂ©rirais avec moi.” Pendant qu’ils Ă©changeaient ces paroles, voici que le dragon arrive et sort la tĂȘte du lac. Alors le jeune fille dit en tremblant : “Fuis, mon bon seigneur, hĂąte toi de fuir !” Georges monte alors sur son cheval, se protĂšge par le signe de croix et attaque avec audace le dragon qui se dirige vers lui ; il brandit avec vigueur sa lance et, se recommandant Ă  Dieu, blesse gravement le dragon et le fait choir Ă  terre. Il dit Ă  la jeune fille : “Lance ta ceinture autour de l’encolure du dragon sans hĂ©siter, ma fille !” Quand elle l’eut fait, le dragon se mit Ă  la suivre, comme le plus doux des chiens. Et comme ils le conduisait ainsi dans la citĂ©, le peuple de la ville Ă  cette vue se mit Ă  fuir dans les montagnes et les dĂ©serts en criant : ”Malheur Ă  nous, nous allons tous pĂ©rir !” Alors saint Georges leur fit signe et leur dit : “N’ayez pas peur, car le Seigneur m’a envoyĂ© Ă  vous prĂ©cisĂ©ment pour vous dĂ©livrer des exactions de ce dragon. Si seulement vous croyez dans le Christ, et si vous faites tous baptiser, eh bien, je tuerai ce dragon.” Alors le roi et tout le peuple reçurent le baptĂȘme ; saint Georges dĂ©gaina son Ă©pĂ©e, tua le dragon et le fit emporter de la ville. Quatre paires de boeufs le trainĂšrent de la citĂ© dans une grande plaine et, ce jour lĂ , vingt mille hommes, sans compter les enfants et les femmes, reçurent le baptĂȘme.

Le roi fit construire, en l’honneur de sainte Marie et de saint Georges, une Ă©glise aux dimensions extraordinaires; de son autel coule une source d’eau vive, qui guĂ©rit tous les malades qui boivent de son eau. Et le roi offrit Ă  saint Georges une Ă©norme somme d’argent, qu’il refusa et fit offrir aux pauvres. Alors Georges donna au roi quatre brĂšves instructions : Il devait prendre soin des Ă©glises de Dieu, honorer les prĂȘtres, Ă©couter avec zĂšle l’office divin et toujours penser aux pauvres. Puis, aprĂšs avoir embrassĂ© le roi, il partit.

***

Jacques de Voragine, archevĂȘque de GĂšnes et auteur de la LĂ©gende DorĂ©e en 1265, commence sa relation des diffĂ©rentes traditions sur saint Georges, dont celle de Saint Georges et le Dragon, avec les prĂ©cautions d’usage :

“Sa lĂ©gende est mise au nombre des Ă©crits apocryphes au concile de NicĂ©e, parce que son martyre n’a pas de compte rendu rendu bien Ă©tabli. En effet, dans le calendrier de BĂšde, il est dit qu’il a souffert en Perse, dans la citĂ© de Diospolis. Ailleurs, on lit qu’il repose dans la citĂ© de Diospolis, qui s’appelait autrefois Lidda (aujourd’hui Lod en IsraĂ«l) et qui est situĂ© prĂšs de Jaffa. Ailleurs, on lit qu’il a souffert sous les empereurs DioclĂ©tien et Maximin. Ailleurs encore, on lit que ce fut sous DioclĂ©tien, empereur des Perses, en la prĂ©sence de soixante-dix rois de son empire. Ici, on dit que ce fut quand Dacien dut gouverneur, sous les empereurs DioclĂ©tien et Maximin.“

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LĂ©gende dorĂ©e : Ce titre provient d’une trĂšs mauvaise traduction Ă  la Renaissance du titre latin Ă©crit au XIIIe siĂšcle Legenda aurea sanctorum. La signification latine du titre est : Ce qui doit ĂȘtre lu des saint aurĂ©olĂ©s, en effet, Legenda est le gĂ©rondif du verbe lire. Cette traduction est une vĂ©ritable trahison ; lĂ©gende proposĂ© malignement Ă  la Renaissance ne s’écrit en latin que par fabula. On est en parfait contre sens du but de l’auteur qui ne parle que de vies de saints, vĂ©rifiĂ©es et que l’on doit connaitre, y compris par les rĂ©cits poĂ©tiques et fabuleux, dont la lĂ©gende de saint Georges, qui doivent ĂȘtre lus de maniĂšre symbolique.

Publié le 06 mars 2025

Récit de la Légende Dorée

photo by dimitrisvetsikas1969

Georges Ă©tait tribun originaire de Cappadoce ; il arriva un jour dans la citĂ© qu’on appelle SilĂšne, dans la province de Lybie. PrĂšs de cette citĂ© se trouvait un marais aussi vaste qu’une mer, oĂč se cachait un dragon pestifĂšre qui, plus d’une fois, avait contraint Ă  la fuite le peuple armĂ© contre lui ; et, parvenu aux murs de la citĂ©, il rĂ©pandait partout son souffle mortel. Les habitants furent donc forcĂ©s de lui donner chaque jour deux brebis afin d’apaiser sa fureur, sans ce tribut, le dragon attaquait les murs de la ville et, en infectant l’air, provoquait de nombreuses morts.

Mais comme il ne leur restait presque plus de brebis, et qu’ils ne pouvaient s’en procurer un nombre suffisant, ils dĂ©cidĂšrent, aprĂšs en avoir dĂ©libĂ©rĂ©, de livrer en tribut une seule brebis et d’y adjoindre un ĂȘtre humain. Et donc, les fils et les filles de toute la citĂ© subissaient le tirage au sort sans que le hasard Ă©pargne quiconque et, alors qu’on avait dĂ©jĂ  donnĂ© en pĂąture presque tous les fils et les filles du peuple, il arriva un jour que la fille unique du roi fut dĂ©signĂ©e et destinĂ©e au dragon.

Le roi, rempli d’affliction, dit alors : “Prenez mon or, mon argent et la moitiĂ© de mon royaume, mais laissez moi ma fille, qu’elle ne meure pas de cette façon !” Mais le peuple, furieux, lui rĂ©pondit : “C’est toi, ĂŽ roi, qui a promulguĂ© cet Ă©dit, et maintenant que tous nos enfants sont morts, tu veux sauver ta fille ? Si tu n’exĂ©cutes pas pour ta fille ce que tu as ordonnĂ© pour les autres enfants de la citĂ©, nous te brĂ»lerons, toi et ton palais.” A ces mots, le roi commença Ă  pleurer sa fille en disant : “Que je suis malheureux, ĂŽ ma fille trĂšs douce ! Que ferais-je pour toi ? Que dire, puisque je ne verrai pas tes noces ?” Et se tournant vers le peuple, il ajouta : ”Je vous en conjure, accordez moi un dĂ©lai de huit jours pour pleurer ma fille.” Le peuple cĂ©da Ă  sa priĂšre, mais revint au bout de huit jours en faisant Ă©clater sa fureur : “Pourquoi perds-tu ton peuple en faveur de ta fille ? VoilĂ  que nous allons tous mourir sous l’haleine du dragon.”

Alors le roi, voyant qu’il ne pouvait libĂ©rer sa fille, la revĂȘtit d’habits royaux, l’embrassa et lui dit en larmes : “Que je suis malheureux, ma trĂšs douce fille ! Je pensais Ă©lever dans l’enceinte royale les fils qui te seraient nĂ©s, et tu vas maintenant te faire dĂ©vorer par la dragon. Ah ! que je suis malheureux, ma trĂšs douce fille ; j’espĂ©rais inviter les princes Ă  tes noces, orner le palais de perles et entendre les orgues et les tambourins, et tu vas maintenant te faire dĂ©vorer par le dragon.” Et il l’embrassa, puis la laissa partir en disant : “Ah ! ma fille, si j’avais pu mourir avant de te perdre ainsi !” Sa fille se jeta alors aux pieds de son pĂšre en lui demandant sa bĂ©nĂ©diction.

Quand son pĂšre, en sanglots l’eut bĂ©nie, elle s’avança vers le lac. Saint Georges passait par lĂ  et quand il la vit en larmes, il lui demande ce qu’elle avait. Elle rĂ©pondit : “Bon jeune homme, hĂąte toi de monter sur ton cheval et de fuir, de peur de pĂ©rir avec moi.” Alors Georges rĂ©pliqua : “N’aie pas peur, ma fille, et dis moi : qu’attends ici, sous le regard de ce peuple assemblĂ© ? — Je le vois, bon jeune homme, tu as un grand coeur, mais pourquoi dĂ©sires tu mourir avec moi ? HĂąte toi de fuir ! — Je ne partirai pas d’ici, dit Georges, tant que tu ne m’auras pas confiĂ© ton tourment.” Et quant elle eut tout exposĂ©, Georges lui dit : “Ma fille, n’aie pas peur, je vais t’aider au nom du Christ.” Elle rĂ©pondit : ”Tu es un soldat courageux, mais ne pĂ©ris pas avec moi. Il suffit bien je meure seule ; car tu ne pourrais me libĂ©rer et tu pĂ©rirais avec moi.” Pendant qu’ils Ă©changeaient ces paroles, voici que le dragon arrive et sort la tĂȘte du lac. Alors le jeune fille dit en tremblant : “Fuis, mon bon seigneur, hĂąte toi de fuir !” Georges monte alors sur son cheval, se protĂšge par le signe de croix et attaque avec audace le dragon qui se dirige vers lui ; il brandit avec vigueur sa lance et, se recommandant Ă  Dieu, blesse gravement le dragon et le fait choir Ă  terre. Il dit Ă  la jeune fille : “Lance ta ceinture autour de l’encolure du dragon sans hĂ©siter, ma fille !” Quand elle l’eut fait, le dragon se mit Ă  la suivre, comme le plus doux des chiens. Et comme ils le conduisait ainsi dans la citĂ©, le peuple de la ville Ă  cette vue se mit Ă  fuir dans les montagnes et les dĂ©serts en criant : ”Malheur Ă  nous, nous allons tous pĂ©rir !” Alors saint Georges leur fit signe et leur dit : “N’ayez pas peur, car le Seigneur m’a envoyĂ© Ă  vous prĂ©cisĂ©ment pour vous dĂ©livrer des exactions de ce dragon. Si seulement vous croyez dans le Christ, et si vous faites tous baptiser, eh bien, je tuerai ce dragon.” Alors le roi et tout le peuple reçurent le baptĂȘme ; saint Georges dĂ©gaina son Ă©pĂ©e, tua le dragon et le fit emporter de la ville. Quatre paires de boeufs le trainĂšrent de la citĂ© dans une grande plaine et, ce jour lĂ , vingt mille hommes, sans compter les enfants et les femmes, reçurent le baptĂȘme.

Le roi fit construire, en l’honneur de sainte Marie et de saint Georges, une Ă©glise aux dimensions extraordinaires; de son autel coule une source d’eau vive, qui guĂ©rit tous les malades qui boivent de son eau. Et le roi offrit Ă  saint Georges une Ă©norme somme d’argent, qu’il refusa et fit offrir aux pauvres. Alors Georges donna au roi quatre brĂšves instructions : Il devait prendre soin des Ă©glises de Dieu, honorer les prĂȘtres, Ă©couter avec zĂšle l’office divin et toujours penser aux pauvres. Puis, aprĂšs avoir embrassĂ© le roi, il partit.

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Jacques de Voragine, archevĂȘque de GĂšnes et auteur de la LĂ©gende DorĂ©e en 1265, commence sa relation des diffĂ©rentes traditions sur saint Georges, dont celle de Saint Georges et le Dragon, avec les prĂ©cautions d’usage :

“Sa lĂ©gende est mise au nombre des Ă©crits apocryphes au concile de NicĂ©e, parce que son martyre n’a pas de compte rendu rendu bien Ă©tabli. En effet, dans le calendrier de BĂšde, il est dit qu’il a souffert en Perse, dans la citĂ© de Diospolis. Ailleurs, on lit qu’il repose dans la citĂ© de Diospolis, qui s’appelait autrefois Lidda (aujourd’hui Lod en IsraĂ«l) et qui est situĂ© prĂšs de Jaffa. Ailleurs, on lit qu’il a souffert sous les empereurs DioclĂ©tien et Maximin. Ailleurs encore, on lit que ce fut sous DioclĂ©tien, empereur des Perses, en la prĂ©sence de soixante-dix rois de son empire. Ici, on dit que ce fut quand Dacien dut gouverneur, sous les empereurs DioclĂ©tien et Maximin.“

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LĂ©gende dorĂ©e : Ce titre provient d’une trĂšs mauvaise traduction Ă  la Renaissance du titre latin Ă©crit au XIIIe siĂšcle Legenda aurea sanctorum. La signification latine du titre est : Ce qui doit ĂȘtre lu des saint aurĂ©olĂ©s, en effet, Legenda est le gĂ©rondif du verbe lire. Cette traduction est une vĂ©ritable trahison ; lĂ©gende proposĂ© malignement Ă  la Renaissance ne s’écrit en latin que par fabula. On est en parfait contre sens du but de l’auteur qui ne parle que de vies de saints, vĂ©rifiĂ©es et que l’on doit connaitre, y compris par les rĂ©cits poĂ©tiques et fabuleux, dont la lĂ©gende de saint Georges, qui doivent ĂȘtre lus de maniĂšre symbolique.

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Publié le 06 mars 2025